Le choix d’un cheval Breton de loisir



Brittia Guiriec en amazone sur Fanny, 
lors du Festival International du Cheval de Trait.
© Coll. privée Brittia Guiriec


Suite de l'article Le Breton, cheval de loisir ? article précédent sur ce lien



L’évolution de la race Bretonne est étudiée en détails par Bernadette Lizet, ethnologue et ancienne chercheuse du CNRS. Jusque dans les années 1980 perdurait un type Breton issu des anciens bidets du pays, le Centre-Montagne. Disparu en raison du « tout boucherie », il a fait naître par son absence un sentiment de nostalgie, et un intérêt pour des chevaux Bretons plus légers. C’est le retour « du brillant des allures, du geste du genou et du trot soutenu », mais aussi la naissance du conflit entre les éleveurs. Malgré tout, les idées évoluent. L’interdiction de la caudectomie en 1996 est sévèrement décriée un premier temps, vue comme une « hérésie » et une « ingérence » des Haras Nationaux. Depuis, la majorité des éleveurs s'est habituée, l'élégance du beau panache fait l'unanimité ou presque.






Des Haras auxquels on doit la mise en place de toute la communication autour de l’attelage dans les villes bretonnes. S’ensuit la renaissance des routes du cheval de trait et avec elles une nouvelle génération d’éleveurs et d’utilisateurs. Le haras d’Hennebont évite soigneusement toute communication autour de l’élevage hippophagique, celui de Lamballe met en place une stratégie d’allègement de la race. Le cheval de loisir a beaucoup plus la côte, en matière de communication, que le lourd boucher.



Autre conséquence, certains éleveurs de « lourd » cherchent à vendre leurs chevaux inaptes à la selle et à l’attelage comme des animaux de loisir… ce qui discrédite évidemment l’ensemble de la race bretonne sur ce marché. Pour ne pas se tromper dans un achat, une possibilité est de choisir des chevaux labellisés loisir ou attelage, ou des poulains issus de ces chevaux. 

Des résultats corrects en compétition, même sans labellisation, sont un gage de qualité qui atteste un niveau minimal de dressage et de manipulation. Des « garanties », qui évidemment n’enlèvent rien à la nécessité d’essayer le cheval, et d’observer sa locomotion. Beaucoup de Bretons « billardent »*, tendance naturelle chez la race en raison de la conformation de ses membres antérieurs, même chez les animaux sélectionnés en sport et en loisir. Brittia Guiriec met en avant le respect de la croissance des poulains, « jamais poussés à l’auge », et celui du travail demandé : « imposer un effort de traction en puissance sur un traîneau (parfois plus d'une tonne) à un poulain de 2 ou 3 ans est dangereux sur le plan ostéo-articulaire et contraire à l'équilibre recherché en attelage car cela met le cheval sur les épaules (au lieu des hanches).

*Cheval dont les antérieurs (à partir du dessous du genou) partent vers l'extérieur 
dans un mouvement circulaire quand il marche


Sous la selle, même en endurance


Que faire avec un cheval Breton sous la selle ? Pas d’obstacle au niveau olympique évidemment, mais la « palette » des compétences est beaucoup plus large qu’on ne l’imagine. Elle inclut même des compétitions d’endurance : « Un cheval Breton entraîné peut courir à petit niveau. Cela s’est déjà vu sur des parcours de 20 et 30 km », assure une éleveuse. La régularité est davantage mise en avant que la vitesse pure.

Si ce genre de participation reste rare, elle révèle la grande résistance de cette race à l’effort prolongé, malgré sa masse importante. Lorsqu’il provient d’une lignée de travail, qui n’a jamais été sélectionnée pour la boucherie, le cheval Breton possède du souffle. Cela permet de le monter pour faire de longues randonnées, et pourquoi pas de concourir en TREC, où il dispose de nombreux atouts. Le cheval Breton de loisir est aussi une alternative pour des cavaliers un peu corpulents, ou même pour développer le concept d’équitation en tandem, rendu possible grâce à l’invention de selles biplaces. Adopté par un centre équestre compétent, il peut servir de cheval de voltige. Une discipline pour laquelle sa taille (modeste pour un trait), son bon caractère et son trot vif rendent le type postier particulièrement adapté.


Déborah Le Put sur Antic, 
jument d’extérieur et de compétition 
pour les cavaliers amateurs.
© Coll. Goulwena Moël

Plus étonnant, Joyeux, un postier Breton, a été qualifié en championnat de France de dressage. Quant au champion de Bretagne d’équitation Western, Thibaut Jarnias, il monte la belle Polka, elle aussi (malgré son nom) une jument du pays ! Pour l'anecdote, raconte Brittia Guiriec, « J'ai même monté une Bretonne d'attelage de compétition en épreuve amazone, lors du Festival international du cheval de trait en 2003. Elle s'est classée 3ème, alors qu'elle n'était pas montée quelques mois auparavant. C'est dire si les Bretons apprennent vite, s’ils sont dociles et polyvalents ! »


Par le passé, des courses de chevaux populaires étaient organisées dans toute la Bretagne. Ces courses dites « de clocher à clocher » voyaient s’affronter les jeunes hommes sur leurs « bidets », prêts à briller pour gagner le cœur de leur belle… cette ancienne tradition de courses a été remise quelquefois à l’honneur avec les chevaux Bretons actuels, descendants des bidets, sur des hippodromes comme celui de Corlay, en Côtes-d’Armor. Autant pour répondre aux éleveurs qui verraient dans le cheval Breton plus léger un « dévoiement », par rapport aux aptitudes historiques de la race.


L’attelage


C’est à l’attelage que le postier breton s’affirme pleinement.
Les haras nationaux ont mis en place une « cure minceur » en concertation avec les tenants Stud-Book, dans les années 2000. Alain Ragois, ancien directeur du Haras de Lamballe et fervent défenseur de l'allègement de la race bretonne, a ouvert le Stud-Book aux croisements expérimentaux avec des TF et PS, qui ont donné naissance aux Bretons F2 et F3, excellents en attelage. C'est à la suite de ce protocole de croisement que la catégorie postier léger apparaît en concours de Modèle et Allures. Les F2 et F3 ne sont donc pas jugés dans la même catégorie que les autres chevaux bretons.

Cette initiative de remise en valeur des chevaux plus légers n’a pas été suivie par les juges de concours, comme en témoigne Brittia Guiriec : « J’avais un postier d’attelage alezan aux crins clairs, Nozkaer de Kerlann, un pur Breton inscrit liste A. Il est né et entraîné à la maison, on l'a présenté en finale SHF attelage à trois ans. Il a fallu le castrer car les juges du Stud-Book Breton lui ont refusé l’agrément d’étalon, à cause de son œil bleu. C’est pourtant un cheval très performant. Mais il était systématiquement mal noté en modèle et allures. J’ai entendu dire que c’était « une bicyclette » ou « une claquette », alors que les aplombs, les allures et le tempérament étaient irréprochables. J’ai dû le vendre à regret, comme cheval de loisir. Un cheval Breton « sportif » est rarement bien vu par les juges de la race. »

La seule alternative pour les éleveurs cherchant à valoriser en attelage reste les… concours d’attelage, où les Bretons se mesurent à des chevaux de toutes races.


L’attrait des robes rares


Un autre atout du cheval Breton, encore trop peu mis en avant par ses éleveurs, réside dans la génétique des robes. L’alezan est presque indissociable de la race, mais c‘est une robe mal-aimée (voir notre article sur l’alezan). Les juges de concours ont écartés les chevaux portant d’autres robes dans les années 1970. Des couleurs plus appréciées sont cependant possibles : bai, noir, noir pangaré, rouan et aubère (le standard précise aussi l’acceptation du « chocolat », qui n’est pas une robe mais un terme technique). Les robes rares gagnent à être davantage mises en valeur chez la race, puisque le noir et le bai sont nettement plus appréciés que l’alezan.


Le Syndicat des Éleveurs du cheval Breton souhaite limiter la présence du blanc, mais sans procéder à des tests génétiques. Aussi, certains chevaux sont interdits de reproduction ou même radiés du stud-book sur simple observation visuelle, ce qui ne permet pas d’éliminer le gène sabino du pool génétique de la race. Le sabino étant un atout sur le marché du cheval de loisir – où la couleur est recherchée – cette décision pénalise essentiellement les éleveurs de Bretons plus légers, sans affecter ceux du secteur boucherie. 


Depuis une quinzaine d'années, la situation évolue heureusement dans le bon sens : reconnaissance de la robe noire, création d'une catégorie pour les postiers légers, ouverture du Stud-Book aux croisements pour l'attelage, mise en place de grilles de pointage détaillées et plus objectives en lieu et place d'un jugement arbitraire et non-réglementé... espérons que, pour notre cheval Breton encore trop souvent considéré comme une bête à viande, l'avenir s'annonce comme un printemps après un février rempli de tempêtes.


Bernadette Lizet, « Mastodonte et fil d'acier. L'épopée du cheval breton », La ricerca folklorica Retoriche dell'animalità. Rhétoriques de l'animalité, no 48,‎ 2003, p. 53-70 




Par Amélie Tsaag Valren, avec la participation de Goulwena Moel et Brittia Guiriec, 
éleveuses de chevaux Bretons

Source : Cheval Savoir n ° 50 - Février 2014 http://www.cheval-savoir.com